GRAND ERRE – Fabien Granet

Erre, n. f. Train, allure. Vitesse résiduelle d’un navire. Il est usité dans ces phrases, Aller grand-erre, Aller bon train, aller vite.

On ne voit même pas le fusain et le dessin s’anime en temps réel. Dans Grand Erre, le paysage se constitue de traits de fusain qui s’effacent avec le vent et les marées. Des oiseaux passent en quelques lignes. L’expérience du plein air, du travail sur le motif ne pouvait pour Fabien Granet que se traduire par du mouvement et la vidéo. Comment rendre autrement les mouvements de lumière, le bruit des feuilles, le passage d’un animal ? Ce nouvel exercice pour l’artiste qui jusqu’alors s’appliquait à l’atelier d’après documents et souvenirs est source de questionnements. Comment appréhender seulement par le regard cet environnement dans lequel on est tout entier impliqué ? Il faut ainsi se représenter l’artiste avec une table à dessin portative, debout ou assis, à l’affût du moindre bruit qu’il pourrait capter et marchant entre deux points de vue qu’il cherche à rallier par le montage et qui font exister un panorama. Une position humble, précaire qui permet de faire corps avec le paysage, ce que suggère aussi le film Notes, fragments, qui retrace cette démarche au temps long et l’étend par différentes références, naturalistes et littéraires à une écologie de l’attention. En effet l’artiste qui reprend le même chemin quasi quotidiennement se fait un observateur de plus en plus fin du monde qui l’entoure, de sa géologie et des autres vivants. Il “apprend à voir” pour reprendre le titre de l’essai d’Estelle Zhong Mengual qui invite à se déprendre de nos représentations préconçues de la nature.

Fabien Granet, quand il s’absorbe dans son dessin, n’a plus conscience de la mer que par le son. Cette transposition des sens permet de déplacer les attentes, de venir créer d’autres rythmes et perceptions. Influencé à ses débuts par le minimalisme et le land art, il garde une affection pour la géométrisation des formes et après les bunkers que l’on retrouve partout sur le mur de l’Atlantique ou les châteaux de sable, ce sont les épaves et les menhirs qui attirent son attention comme dans les fusains L’estran (l’épave) et aquarelles Lagatjar. Les variations autour de La Petite Grève, le bloc noir qui figure la côte et les lignes claires qu’il y insère jouent sur la façon dont se constitue un horizon. On pourrait évoquer Smithson et son rapport à l’histoire, sa façon de jouer du point de vue, mais ici le hors champ du dessin, la base sous-marine nucléaire de l’île longue, pèse autrement, comme une menace. Demain aura été. La narration que met en place Fabien Granet est encodée dans le dessin par différents symboles, triangles ou trapèze, lignes de force comme dans Braconner l’horizon ou Ghost Ship. Elle procède de scènes et de tableaux comme dans le séquençage d’une promenade qui rappellent les trente-six vues du Mont Fuji d’Hokusai dans In situ in visu. Cette série débutée en 2021 témoigne de l’apprivoisement d’un nouvel environnement avec un même lieu approché au travers des saisons et des moments de la journée. La référence à Henri Rivière n’est pas loin sur les sentiers côtiers bretons. Fabien Granet pratique le paysage palimpseste, dans cette même série, les dessins sont réalisés sur un papier qu’il a recyclé à partir de ses précédentes œuvres, manière d’expérimenter lui-même l’érosion des images. Il confronte des clichés du bord de mer avec une expérience intime du littoral. En travaillant alternativement des gros plans et des cadrages larges mais aussi des traitements de couleurs différents, il crée des allers et retours entre les images. Il crée une dynamique et à la fin c’est tout le paysage qui entre en mouvement.

Texte de l’exposition par Henri Guette (Critique d’art, membre de l’AICA, et commissaire d’expositions)

GRAND ERRE – Fabien Granet. Exposition du 8 avril au 20 mai 2023.