Jardin Bleu - Claire Nicolet - Raphaël Renaud - Mayura Torii

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Jardin Bleu Claire Nicolet Raphaël Renaud  Mayura Torii

Se faufiler au jardin, suivre une invitation à la promenade « Sous ces arbres chéris, où j’allais à mon tour / Pour cueillir, en passant, seul, un brin de verveine »…(1)

Dans cette déambulation hors du temps, ou rêverie et délicatesse se croisent au gré de couleurs franches, trois artistes se rencontrent.

Au commencement, un pigment. De ce bleu primaire, négligé par la Rome antique, le Moyen-âge a fait une couleur noble : le rare lapis-lazuli offre alors toute sa préciosité à la représentation du divin. Ici, c’est plus simplement le bleu déposé au pinceau, esquissé au crayon… Celui de Mayura Torii, artiste japonaise ayant transité par les États-Unis, l’Allemagne et la France. Autant de cultures, de langues à assimiler : un point de départ pour ses œuvres qui jouent des difficultés de traduction, de l’étrangeté de coïncidences dans une ironie mordante. L’artiste renverse les codes par son parti-pris de l’ignorance naïve, cultive les mots à contresens et sème les confusions qui croissent en glissements sémantiques. Sur le terrain de ses expérimentations, Mayura Torii transgresse l’habitude artistique, soulignée dans ce « sans titre (vraiment) », plaisanterie adressée à l’histoire des arts…
Elle y invite le jaune des tournesols, couleur longtemps considérée comme froide – à l’inverse du bleu, chaud et lumineux. Bleu et jaune sont les deux pôles essentiels du système chromatique de Goethe, créant l’harmonie absolue par leur association. L’époque est alors fortement marquée par la romantisme, recommandant aux artistes de suivre les couleurs de la nature qui prennent toute leur dimension symbolique. Ainsi la petite fleur bleue du roman de Novalis lie cette teinte aux vertus poétiques de l’amour et du rêve.

Par extension, l’oiseau bleu devient l’être idéal, inaccessible, tandis que le conte bleu renvoie au récit chimérique et enchanteur, d’où semble surgir l’œuvre de Raphaël Renaud. Entre inspiration photographique et hyperréalisme, ses toiles troublent la perception du spectateur par leur profusion, en particulier dans leurs motifs citadins. Leurs touches vives et gaies offrent à la forme une abstraction que le recul seul permet d’appréhender dans un ensemble significatif. Notes de lumières et valse de couleurs s’accordent en contemplation paisible. Ce calme épouse les bassins à l’eau presque noire où croissent nelumbos et nénuphars, déposés en clin d’œil à Monet dans son jardin de Giverny, devenu source d’inspiration principale à la fin de sa vie, comme un aboutissement de la pensée impressionniste aux touches colorées, dans lesquelles le bleu a un rôle prédominant : il s’amuse des formes, les dépasse en ombres pour finalement s’étaler dans l’infini de la nuit tombante.
Le bleu prend alors la tonalité d’une nostalgie presque mélancolique, tirant même à la tristesse chez Picasso. Il résonne en écho aux blue devils – nos « idées noires » – qui, par contraction, ont donné leur nom au blues. Reprenons Kandinsky pour souligner qu’« en musique (…) le bleu clair est comme une flûte, le bleu foncé comme un violoncelle, et quand il est encore plus sombre, il devient une merveilleuse contrebasse ». Une analogie marquant bien l’importance des contrastes dans ce coloris polysémique qui « lorsqu’il rencontre le noir, (…) peut exprimer un sentiment de douleur très profond et par contraste, il peut avoir un caractère plus éloigné lorsqu’il rencontre la couleur blanche, faisant ainsi un bleu clair du ciel » nous enveloppant alors de son omniprésence.

Sans doute est-ce pour cela qu’il était symbole de vie et de renaissance dans l’Égypte antique, à l’image de l’eau, origine de la vie. Les Jardins persans seraient d’ailleurs nés d’une source miraculeuse : le bassin central y symbolise la source de vie qui irrigue 4 canaux : les fleuves du paradis désignant les 4 points cardinaux et les 4 éléments. Clos et ordonné, le jardin fait alors le lien entre terre et ciel. En Occident, s’ajoute le rappel du Jardin d’Eden, point de départ de la création. Lors de son bannissement, l’homme recrée un jardin nourricier ; il doit y travailler pour en obtenir les fruits, tout comme il lui faut entretenir le jardin de son âme, dans une démarche spirituelle dont le vocabulaire est celui-là même du cultivateur.

« Lieu d’indépendance à l’égard du reste », tel que le définit Hervé Brunon, le jardin est cet abrégé du monde, le microcosme clos à l’image du macrocosme. Cette union se retrouve dans les jardins chinois où l’eau (yin) rejoint la montagne (yang), axe qui permet à la vie de descendre vers la terre. Ces deux éléments se croisent dans « La Rivière pourquoi » de Claire Nicolet. Formée à la gravure, l’artiste s’est ensuite orientée vers le dessin, la peinture, la bande dessinée, la sculpture, l’installation… Autant de formes transcrites dans des couleurs franches qui lui permettent de poursuivre son exploration du paysage, naturel ou urbain, dont elle tire chaque détail passé inaperçu, futur matériel d’une articulation nouvelle dans un idéal sublimé.
Les personnages en sont absents, et pourtant le spectateur y entre et y déambule, comme il franchirait le seuil d’un jardin aux couleurs franches. Car peinture et art paysager se rejoignent dans leur dimension scénographique ; si le jardin a inspiré la peinture, elle lui a à son tour prêté sa dimension de tableau, vivant et mouvant comme on le trouve au Jardin Majorelle, parsemé de ce bleu unique qui l’illumine. Et si derrière ces considérations la végétation s’efface, qu’« Il va s’effiler fibre à fibre, Il ne restera que du bleu, Air bleu, eau bleue, azur qui vibre, De tout ce jardin fabuleux »…(2)

(1) Alfred de Musset (2) Anna de Noailles

Jardin Bleu Claire Nicolet Raphaël Renaud  Mayura Torii : Texte de l’exposition par Blandine Boucheix (Conférencière et commissaire d’expositions indépendante), janvier/2023

Exposition du 31 janvier au 02 avril 2023

du mardi au samedi : 11h/13h -14h30/18h00

GALERIE JEAN-LOUIS RAMAND
Place St Jean de Malte, 8 rue Cardinale 13100 Aix en Provence

VUES DE L’EXPOSITION

Jardin Bleu Galerie Jean-Louis Ramand
Jardin Bleu Galerie Jean-Louis Ramand