La Rouille Sous les Rêves
JOHANN FOURNIER
Galerie Jean-Louis Ramand – Aix-en-Provence
A travers cette exposition personnelle, Johann Fournier traverse plusieurs de ses séries photographiques pour tendre un fil narratif imaginaire qui caractérise un thème récurent dans ses travaux, le paradoxe du rêveur.
Nos rêves, espace libre de l’inconscient, concrétisation impalpable de l’intime, indice métaphorique de notre être profond… Au gré de ses pérégrinations photographiques, Johan Fournier nous guide de paysages intimes en instants éternels, alliance gracile des temps suspendus dans l’éternité, tentation de l’immortalité à laquelle tendent les êtres.
Pourtant, point sans cesse une menace latente : la matière réagit au temps, évolue, s’altère. Les corps se rident, le métal s’oxyde. Embelli de sa corrosion, il nous rappelle l’éphémère de chaque instant, la marque laissée à la matière par le déroulement linéaire du temps. En ce sens, la rouille déplaît.
Indice d’une disparition prochaine, elle renvoie à ce qui n’est plus, au périssable, à ce qui ne peut plus être du fait même de son altération. Incarnation parfaite de l’éphémère, elle nous renvoie à notre crainte intime quant à notre propre disparition au monde. “Les gens n’aiment pas la rouille, c’est psychologique, a dit Bernar Venet, un objet rouillé est à jeter à la poubelle. En anglais, on utilise le mot “weathered” [érodé], que je préfère. »[1]
Pourtant, peut-on se séparer de ce que nous avons été ? Notre passé fait de nous ce que nous sommes, hier reste pour toujours une part d’aujourd’hui, chaque chose et chaque être étant marqué de l’expérience du temps.
Défi de l’éphémère à nos rêves d’immortalité, la rouille forme une couche nouvelle, une trace du temps, de l’expérience. A ce titre, peut-elle devenir vernis sémantique des instants passés ? Réel nouveau, venu sublimer la forme d’origine, couche à craqueler pour en discerner les fondements.
Le vrai se dissimule derrière cette surface visuelle, à l’épreuve de l’œil trompé par la matière. Par cette réflexion, le photographe nous invite à regarder plus en profondeur, à nous glisser dans la fissure belle pour rencontrer l’objet derrière la rouille, l’être derrière l’image, l’intime derrière le rêve.
Ses photographies sont lieu de recomposition du réel, de recherche de sens par la polysémie, de recherche de forme par la multiplication des techniques. Symphonie métallique de notre imaginaire, la rouille derrière ces rêves transcende l’humain par l’imaginaire, le temps par la rémanence malgré l’altération progressive. Son œuvre est finalement tissée d’un fil onirique où esprits et espoirs de nos intimes instants d’abandon se croisent dans l’insalubre légèreté des paradoxes du rêveur.
Texte par Blandine Boucheix
[1] « Après Koons et Murakami, le plasticien français pose ses arcs monumentaux dans les jardins de Versailles. », JDD, 30 mai 2011.